Mon cher Jean,
En attendant la projection du film Les noces de Dieu de Joao César Monteiro, une évidence, pour moi, s'est fait jour. Tu peins les heures, leur lente succession, leur foisonnement somptueux, leur rythme inexorable, dans l'épanchement coloré des floraisons matinales et des amours animales. Un vers d'Hésiode m'est revenu à la mémoire, comme la vision d'un observateur extérieur, soucieux que l'oubli ne puisse étendre définitivement son manteau sur l'activité fébrile des hommes : Le matin est froid les jours où s'abat le Thrace Borée. Ces matins-là, une vapeur fécondante s'épand du ciel étoilé sur la terre, couvrant les champs des heureux de ce monde. Heures, heureux, émerveillement, face aux retrouvailles d'un instant révolu, à la saisie d'un moment fugace, mais qui s'inscrit dans la durée par la trace. La trace du soc, du stylet, du pinceau.
Tes silhouettes bichromes, tes transmutations, sont immédiatement reconnaissables. Elles sont bien plus qu'un portrait. Elles restituent la présence réelle de ceux qui se sont prêté à leur jeu, et dont ta marque, telle celle des mains de Gargas qui nous sont chères, tisse l'étrange chronologie. De la boue colorée surgissent peu à peu des êtres de l'un et l'autre sexe, dans leur singularité démultipliée. J'ai envie de dire à tous ceux qui ne savent pas d'où, toi et moi, nous venons : allez-y, vous verrez, vous les reconnaîtrez. Ils sont tous là, comme au premier jour, ayant laissé sur la toile cette partie d'eux-mêmes que sans doute ils ignorent, mais qui les suit comme l'ombre et nous livre vraiment ce que, ce jour-là, ils étaient. Je le sais pour appartenir à la communauté qui vit désormais sa vie propre dans la mémoire de ton immense calendrier.
Qu'un simple contraste puisse à ce point nous restituer n'est pas le moins surprenant de ce qui se produit dans tes mystères. La trace, véritable patron de ce qui se colporte, d'âge en âge, à travers les mythes et la poésie, en dirait-elle plus que la copie conforme ? Elle est ici forme première de ce qui nous apparaît du semblable, du frère, jamais le même, mais pourtant si proche qu'il est au cur de toute nostalgie. Semblable indéfiniment répété et jamais saisi, comme les heures qui rythment nos nuits, mais qui revient là, au grand jour, pour sonner midi.