Jean Daviot propose un mur de mains « un mur d’humain » recouvert de ses empreintes. Celles-ci évoquent des pictogrammes d’un langage universel : une main qui interroge, une autre pointe, une paume, un poing, un tâtonnement, une halte. Car Daviot autrefois engagé dans l’art corporel a gardé cette complicité avec le corps. Il n’est pas du tout pris dans un jeu narcissique. Son miroir est le regard de l’autre dans la circulation des possibles.
Pour Daviot le corps parle. Ses « Visiteur de soi » sont des personnes passées dans son atelier et dont il a contourné la figure d’un trait sur la toile. Telle une ombre portée qui se fige dans une silhouette. Plus étonnamment encore le contour saisit à la fois l’endroit et l’envers le dos qu’on ne sait voir que par le biais d’une surface réfléchissante.Toutefois Daviot travaille la présence d’un intérieur perçu de l’extérieur par l’autre au sens Levinassien. Ainsi le délinéament matérialise singulièrement des sensations physiques d’occuper l’espace, si la personne se positionne au centre du cadre, décalé, si elle se tient raide ou souple. L’empreinte n’est pas du tout l’indice d’une absence, mais le lieu qui marque une attitude révélant un être au monde. Dans ce processus d’enregistrement, qui se rapproche du dédoublement, Daviot opère comme un passeur. Il décèle cette face cachée de soi-même, tel un autoportrait. Ce qui suscite l’envie du spectateur de se prêter à ce jeu de croissement des regards dans l’espace.
Aujourd’hui il semble paradoxal de revenir à la figure d’une manière littérale. Mais Daviot outrepasse ces interdits. Les Ombrographies sont les traces d’un visage et d’une main d’une personne couchée sur la plaque d’une photocopieuse, qui capte une physionomie en creux et plein, d’ombre et de lumière.Car au contact du verre la joue, le nez et la bouche apparaissent en réserve. Ce geste si réaliste happe et rend visible la face intime d’un visage étendu sur un oreiller, où l’envers et l’endroit se relient en un espace de songe. La position de la main par contre qui est d’ailleurs toujours placée dans le sens du regard est de l’ordre du geste de langage. À travers la photocopieuse, de ce médium par excellence de la reproductibilité surgit paradoxalement une expression unique. La vitre évoque la surface froide du miroir, cette interface cependant n’est pas du tout réflexive, mais offre l’image spectrale d’une moule négative du visage.
Dans la vidéo, La perte politique Daviot procède de nouveau par pliage par contre de la voix. Il lit le texte de Marguerite Duras d’abord normalement puis à l’envers et ensuite cet envers à l’endroit. Le résultat s’ouvre sur une gamme de sons beaucoup plus large, qui évoque un kaléidoscope de langues. Elle rappelle l’histoire que cite le linguiste Roman Jakobson de l’écrivain russe Vladimir Odoevskij d’un homme qui avait reçu d’un magicien malveillant le don de tout voir et tout entendre « Tout dans la nature se décomposait devant lui sans que rien ne s’unisse dans son esprit », et les sons de la parole se changeaient devant le malheureux en un torrent d’innombrables mouvements articulatoires et de vibrations mécaniques dépourvus de but et de sens. Daviot lisant à contresens brise la classification physiologique des sons de la langue française. Cette désarticulation s’ouvre en même temps à une multitude de variation et un regroupement inhabituel de phonèmes où résonnent virtuellement toutes les langues du monde englobant un système composé d’éléments qui sont en même temps signifiants et vides de signification. Cette performance appréhende la divergence entre le son et le sens dans leur dissemblance et parfois leur ressemblance. Daviot sculpte la langue comme un objet, elle devient alors le palimpseste d’une réflexion à voix-off.